vendredi 17 août 2012

Conseil Arbitral de la Sécurité Sociale



Audience publique du vingt-six juillet deux mille douze

Entre L, demeurant LUXEMBOURG; demandeur, comparant par V avocat à la Cour, Luxembourg;

Et:

la Caisse nationale de santé, dont le siège est à Luxembourg, représentée par le président de son comité-directeur, Monsieur P; défenderesse, comparant par Madame G, inspecteur principal, Luxembourg, mandataire suivant procuration écrite;


Par requête déposée au siège du Conseil arbitral de la sécurité sociale le 9 mai 2012, la partie requérante forma recours contre une décision du comité-directeur de la Caisse nationale de santé du 19 avril 2012, notifiée par acte daté du 30 avril 2012.

Par lettres recommandées à la poste en date du 20 juin 2012, les parties furent convoquées pour l'audience publique du 4 juillet 2012, à laquelle le requérant comparut par Maître V, préqualifiée.

La partie défenderesse comparut par sa mandataire Madame G, préqualifiée.

Le président du siège ouvrit les débats par un exposé de l'affaire.

Ensuite, les parties présentèrent leurs observations.

La partie requérante conclut, en ordre principal, à la réformation de la décision attaquée et, en ordre subsidiaire, elle demanda l'institution d'une expertise médicale.

La partie défenderesse conclut, en ordre principal, à la confirmation de la décision attaquée et, en ordre subsidiaire, elle se rapporta à prudence de justice quant à l'institution d'une expertise médicale.

Après prise en délibéré de l'affaire, le Conseil arbitral rendit à l'audience publique de ce jour, à laquelle le prononcé avait été fixé, le jugement qui suit:

Attendu que le requérant L fait grief à une décision du comité-directeur de la Caisse nationale de santé d'avoir, par confirmation de la décision présidentielle, refusé la demande présentée tendant à obtenir l'accord pour un transfert à l'étranger en vue de la prise en charge d'un traitement médico-chirurgical stationnaire à la clinique A à Paris;

Attendu que le recours est recevable pour avoir été présenté dans les formes et délai prévus par la loi;

Attendu que le comité-directeur, en se référant aux articles 20 du Code de la sécurité sociale, 23, 25 et 27 des statuts de la Caisse nationale de santé et 20 du règlement communautaire 883/2004, a refusé la demande au motif que suivant avis du médecin-conseil du Contrôle médical de la sécurité sociale du 13 février 2012 et du 28 mars 2012 le traitement envisagé est possible au Luxembourg et qu'un transfert à l'étranger n'est pas justifié dans le cas d'espèce et ne correspond pas aux conditions d'économicité prévues à l'article 23 du Code de la sécurité sociale;

Attendu que le requérant fait valoir qu'il souffre d'une pathologie grave au niveau du genou droit ayant nécessité en avril 2002 une résection partielle du ménisque intérieur droit, qu'en janvier 2007, il a dû subir une nouvelle opération pour la résection totale du ménisque, laquelle intervention n'a pas permis d'éradiquer les douleurs du requérant, qu'après deux injections inefficaces, les douleurs se sont accentuées et l'unique réponse thérapeutique apportée au Luxembourg consistait en une chirurgie lourde, à savoir une prothèse du genou, alors que le traitement proposé par le Docteur L de
la clinique A, à savoir une ostéotomie de valgisation, était beaucoup moins lourd;

Attendu que l'article 20 du Code de la sécurité sociale prévoit que les actes, services et fournitures à l'étranger sont pris en charge:

- s'il s'agit d'un traitement d'urgence reçu en cas de maladie ou d'accident survenus à l'étranger ou

- après autorisation préalable donnée par le contrôle médical de la sécurité sociale conformément aux conditions prévues et que toutefois l'autorisation ne peut être refusée si le traitement n'est pas possible au Luxembourg;

Attendu que l'article 23 alinéa 1er du même Code dispose que les prestations à charge de l'assurance maladie accordées à la suite des prescriptions et ordonnances médicales doivent correspondre au mieux à l'état de santé des assurés et ne peuvent dépasser l'utile et le nécessaire et doivent être faites dans la plus stricte économie compatible avec l'efficacité du traitement et être conformes aux données acquises par la science et à la déontologie médicale;

Attendu que l'article 23 alinéa 2 des statuts de l'Union des caisses de maladie prévoit que, sauf les prestations urgentes devenues immédiatement nécessaires en cas de maladie ou d'accident lors d'un séjour temporaire à l'étranger, la prise en charge des prestations délivrées à l'étranger doit être couverte par une autorisation donnée par le contrôle médical suivant les modalités prévues;

Attendu que l'article 25, alinéa 3 des statuts prévoit que le transfert en milieu universitaire ou dans des institutions spécialisées à l'étranger, demandé conformément à l'article 27 pour les traitements et procédés de diagnostic complexes pour lesquels une qualité de soins suffisante ne peut être assurée au Luxembourg, est soumis à une autorisation préalable du contrôle médical;

Attendu qu'aux termes de l'article 26, alinéa 2 des statuts de la Caisse nationale de santé: « Les consultations et les traitements dûment autorisés par le Contrôle médical au moyen d'un formulaire E112 ou analogue, sont pris en charge intégralement aux taux des tarifs applicables aux assurés sociaux de l'étranger. Pour les traitements en milieu hospitalier stationnaire, cette prise en charge est également étendue aux participations et franchises éventuelles pouvant être mises en compte en vertu de la législation étrangère, déduction faite du montant prévu à l'article 142, alinéa 2, ce dans la mesure où la participation ou la franchise sont supérieures au montant prévu ci-dessus. » ;

Attendu que les articles 49 et 50 du Traité CE frappent en principe d'interdiction toutes les règles nationales qui entravent la libre circulation des services entre les Etats et que l'interdiction y stipulée a une portée assez large puisqu'elle touche non seulement les règles qui entravent directement et effectivement la liberté de circulation, mais aussi celles qui le font directement ou potentiellement;

Attendu que dans les arrêts du 28 avril 1998, affaire C-158/96 Kohll et affaire C-120/95 Decker la Cour a expressément constaté que l'article 22 du règlement n° 1408/71, interprété à la lumière de son objectif, n'a pas pour objet de réglementer et, dès lors, n'empêche nullement le remboursement par les Etats membres, aux tarifs en vigueur dans l'Etat compétent, des frais engagés à l'occasion de soins fournis dans un autre Etat membre, même en l'absence d'autorisation préalable;

que la Cour a expressément retenu encore que « des objectifs de nature purement économique ne peuvent justifier une entrave au principe fondamental de libre prestation de services. Toutefois, il ne saurait être exclu qu'un risque d'atteinte grave à l'équilibre financier du système de sécurité sociale puisse constituer une raison impérieuse d'intérêt général susceptible de justifier pareille entrave. » ;

que conformément à la jurisprudence de la CJCE, l'article 49 (ancien article 59) du traité CE s'oppose à l'application de toute règlementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre Etats membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un Etat membre (v. arrêt Kohll, précité) ;

Attendu que dans les affaires Smits et Peerboms (arrêt du 12 juillet 2001, C-157/99) se rapportant à des frais d'hospitalisation engagés dans un autre Etat membre, la Cour de Justice des Communautés européennes a rappelé que le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des Etats membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale de sorte qu'il appartient à chaque Etat membre de déterminer dans le respect du droit communautaire, d'une part, les conditions du droit ou de l'obligation de s'affilier à un régime de sécurité sociale et, d'autre part, les conditions qui donnent droit à des prestations;

Attendu que dans le même arrêt la Cour a remémoré que les activités médicales relèvent du champ d'application de l'article 50 du traité sans qu'il y ait lieu à distinction selon que les soins sont dispensés dans un cadre hospitalier ou ne dehors d'un tel cadre;

Attendu que la Cour a retenu que dans la double perspective, d'un côté, de garantir une accessibilité suffisante et permanente à une gamme équilibrée de soins hospitaliers de qualité et, d'un autre côté, d'assurer une maîtrise des coûts et d'éviter tout gaspillage des ressources financières, techniques et humaines, l'exigence consistant à soumettre à une autorisation préalable la prise en charge financière par le système national de sécurité sociale de soins hospitaliers dispensés dans un autre Etat membre est apparue aux juges communautaires comme étant une mesure tout à la fois nécessaire et raisonnable sous condition toutefois que les conditions mises à l'octroi d'une telle autorisation soient justifiées au regard des impératifs visés et qu'elles satisfassent à l'exigence de proportionnalité;

Attendu que pour ce qui est de la « condition nécessaire» du traitement envisagé, sous-jacente à l'autorisation préalable, la Cour a décidé dans le même arrêt que l'autorisation ne peut être refusée que lorsqu'un traitement identique ou présentant le même degré d'efficacité pour le patient peut être obtenu en temps opportun en ayant recours à un établissement avec lequel la caisse de maladie de l'assuré a conclu une convention;

que pour l'appréciation de cette condition, les autorités nationales devront, selon la CJCE, prendre en considération l'ensemble des circonstances caractérisant chaque cas concret en tenant dûment compte non seulement de la situation médicale du patient au moment où l'autorisation est sollicitée, mais également de ses antécédents et que d'après la CJCE l'exigence d'une telle condition est susceptible de permettre le maintien sur le territoire national d'une offre suffisante équilibrée et permanente de soins hospitaliers de qualité ainsi que de garantir la stabilité financière du système de l'assurance maladie;

Attendu qu'il y a lieu de déduire de la jurisprudence communautaire que si en principe les règles d'autorisation préalable sont en contradiction avec les principes généraux régissant la libre circulation des services, les Etats membres peuvent, d'une part, sur le fondement de l'article 46 du traité restreindre la libre prestation des services médicaux et hospitaliers, si cette restriction est nécessaire pour le maintien d'une capacité de soins ou d'une compétence médicale sur le territoire national et, d'autre part, se baser sur la raison de l'intérêt général tirée de la sauvegarde nécessaire de l'équilibre financier de leur système sanitaire, tout en précisant que la limitation ne doit toutefois pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif (cf. : Conseil supérieur des assurances sociales du 12 décembre 2001 CMEP c/K.; épouse T.) ;

Attendu que dans l'arrêt du 19 avril 2007, affaire C-444/05 Stamatelaki la Cour a dit pour droit que l'article 49 CE s'oppose à une législation d'un Etat membre qui exclut tout remboursement par un organisme national de sécurité sociale, des frais occasionnés par l'hospitalisation de ses assurés dans les établissements de soins privés situés dans un autre Etat membre;

Attendu que dans le même arrêt la Cour a jugé que si la restriction à la libre prestation des services médicaux et hospitaliers est susceptible d'être justifiée par les raisons impérieuses d'intérêt général, encore faut-il que cette restriction ne soit pas disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi ;

Attendu qu'il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de Justice des Communautés européennes que le devoir des Etats membres, en vertu de l'article 5 (devenu 10) du traité, de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution des obligations découlant du droit communautaire s'impose à toutes les autorités des Etats membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences aux autorités juridictionnelles;

Attendu qu'à cet égard, il appartient à la juridiction nationale de donner à la loi interne qu'elle doit appliquer, dans toute la mesure du possible, une interprétation conforme aux exigences du droit communautaire (voir arrêt Van Munster, du 5 octobre 1994 C-165/91);

Attendu que si une telle application conforme n'est pas possible, la juridiction nationale a l'obligation d'appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant au besoin inappliquée toute disposition dans la mesure où son application, dans les circonstances de l'espèce, aboutirait à un résultat contraire au droit communautaire (voir, dans un sens analogue, arrêt du 21 mai 1987, Albako, 249/85, Rec. p. 2345 points 13 et suivants) ;

Attendu qu'en considérant la sévérité de la pathologie douloureuse au niveau du genou droit dont l'assuré est atteint, le Conseil arbitral arrive à la conclusion que le traitement médico-chirurgical proposé à l'hôpital A est nécessaire et efficace pour soigner une pathologie grave pouvant porter préjudice de manière durable à la qualité de vie de l'assuré et constituant une pathologie inhabituelle pour laquelle un traitement adéquat et une qualité de soins suffisante avec les mêmes chances de succès ne pouvaient être assurés dans un délai acceptable au Luxembourg;

Attendu qu'en considérant la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes concernant l'interprétation par la Cour du droit communautaire et le principe de l'exigence de la proportionnalité de la règle européenne, tel que ce principe est retenu dans l'arrêt précité de la Cour du 19 avril 2007, il y a lieu de retenir que le refus, en application des dispositions du règlement communautaire et des statuts cités dans la décision entreprise, de la demande d'autorisation pour le traitement litigieux à Paris est de nature à restreindre de manière injustifiée et disproportionnée la liberté de prestation des services et le droit à la santé de l'assuré et est de nature à rompre au détriment du requérant l'équilibre entre la protection sociale de l'assuré et les exigences liées aux raisons d'intérêt général prémentionnées ;


Par ces motifs,

le Conseil arbitral, statuant contradictoirement et en premier ressort, réformant, dit que la Caisse nationale de santé doit accorder à l'assuré L, l'autorisation de transfert en vue de la prise en charge du traitement médico-chirurgical stationnaire à la clinique A à Paris.
La lecture du présent jugement a été faite à l'audience publique du 26 juillet 2012 en la salle d'audience du Conseil arbitral de la sécurité sociale à Luxembourg par Monsieur le président du siège.


Voies de recours

Le Conseil arbitral statuera en dernier ressort jusqu'à une valeur de 1.250 euros et à charge d'appel lorsque la valeur du litige dépasse cette somme.

(Article 455, alinéa 3 du Code de la sécurité sociale - Loi du 13 mai 2008 portant introduction d'un statut unique).

Les décisions rendues en dernier ressort par le Conseil arbitral sont susceptibles d'un recours en cassation.

Le pourvoi sera introduit, instruit et jugé dans les formes prescrites pour la procédure en cassation en matière civile et commerciale conformément à l'article 455, alinéa 4 du Code de la sécurité sociale (Loi du 13 mai 2008).

L'appel devra être interjeté, sous peine de forclusion, dans les quarante jours de la date de la notification de la décision du Conseil arbitral, par simple requête sur papier libre à déposer au siège du Conseil supérieur de la sécurité sociale à L-1610 Luxembourg, 14, avenue de la Gare.

La requête sera présentée en autant d'exemplaires qu'il y a de parties en cause. Elle devra indiquer sommairement les moyens sur lesquels se fonde l'appel.

Les décisions rendues par défaut par le Conseil arbitral de la sécurité sociale, soit en premier ressort, soit en dernier ressort. peuvent être attaquées par voie de l'opposition.

Celle-ci doit être formée, sous peine de forclusion, dans les 15 jours de la notification de la décision attaquée, par simple requête sur papier libre à déposer en autant d'exemplaires qu'il y a de parties en cause au siège du Conseil arbitral de la sécurité sociale à L-1528 Luxembourg. 16, Boulevard de la Foire (Article 9 du règlement grand-ducal du 24 décembre 1993).


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