Audience publique du
vingt-six juillet deux mille douze
Entre L, demeurant
LUXEMBOURG; demandeur, comparant par V avocat à la Cour, Luxembourg;
Et:
la Caisse nationale de
santé, dont le siège est à Luxembourg, représentée par le
président de son comité-directeur, Monsieur P; défenderesse,
comparant par Madame G, inspecteur principal, Luxembourg, mandataire
suivant procuration écrite;
Par requête déposée au
siège du Conseil arbitral de la sécurité sociale le 9 mai 2012, la
partie requérante forma recours contre une décision du
comité-directeur de la Caisse nationale de santé du 19 avril 2012,
notifiée par acte daté du 30 avril 2012.
Par lettres recommandées
à la poste en date du 20 juin 2012, les parties furent convoquées
pour l'audience publique du 4 juillet 2012, à laquelle le requérant
comparut par Maître V, préqualifiée.
La partie défenderesse
comparut par sa mandataire Madame G, préqualifiée.
Le président du siège
ouvrit les débats par un exposé de l'affaire.
Ensuite, les parties
présentèrent leurs observations.
La partie requérante
conclut, en ordre principal, à la réformation de la décision
attaquée et, en ordre subsidiaire, elle demanda l'institution d'une
expertise médicale.
La partie défenderesse
conclut, en ordre principal, à la confirmation de la décision
attaquée et, en ordre subsidiaire, elle se rapporta à prudence de
justice quant à l'institution d'une expertise médicale.
Après prise en délibéré
de l'affaire, le Conseil arbitral rendit à l'audience publique de ce
jour, à laquelle le prononcé avait été fixé, le jugement qui
suit:
Attendu que le requérant
L fait grief à une décision du comité-directeur de la Caisse
nationale de santé d'avoir, par confirmation de la décision
présidentielle, refusé la demande présentée tendant à obtenir
l'accord pour un transfert à l'étranger en vue de la prise en
charge d'un traitement médico-chirurgical stationnaire à la
clinique A à Paris;
Attendu que le recours
est recevable pour avoir été présenté dans les formes et délai
prévus par la loi;
Attendu que le
comité-directeur, en se référant aux articles 20 du Code de la
sécurité sociale, 23, 25 et 27 des statuts de la Caisse nationale
de santé et 20 du règlement communautaire 883/2004, a refusé la
demande au motif que suivant avis du médecin-conseil du Contrôle
médical de la sécurité sociale du 13 février 2012 et du 28 mars
2012 le traitement envisagé est possible au Luxembourg et qu'un
transfert à l'étranger n'est pas justifié dans le cas d'espèce et
ne correspond pas aux conditions d'économicité prévues à
l'article 23 du Code de la sécurité sociale;
Attendu que le requérant
fait valoir qu'il souffre d'une pathologie grave au niveau du genou
droit ayant nécessité en avril 2002 une résection partielle du
ménisque intérieur droit, qu'en janvier 2007, il a dû subir une
nouvelle opération pour la résection totale du ménisque, laquelle
intervention n'a pas permis d'éradiquer les douleurs du requérant,
qu'après deux injections inefficaces, les douleurs se sont
accentuées et l'unique réponse thérapeutique apportée au
Luxembourg consistait en une chirurgie lourde, à savoir une prothèse
du genou, alors que le traitement proposé par le Docteur L de
la clinique A, à savoir
une ostéotomie de valgisation, était beaucoup moins lourd;
Attendu que l'article 20
du Code de la sécurité sociale prévoit que les actes, services et
fournitures à l'étranger sont pris en charge:
- s'il s'agit d'un
traitement d'urgence reçu en cas de maladie ou d'accident survenus à
l'étranger ou
- après autorisation
préalable donnée par le contrôle médical de la sécurité sociale
conformément aux conditions prévues et que toutefois l'autorisation
ne peut être refusée si le traitement n'est pas possible au
Luxembourg;
Attendu que l'article 23
alinéa 1er du même Code dispose que les prestations à charge de
l'assurance maladie accordées à la suite des prescriptions et
ordonnances médicales doivent correspondre au mieux à l'état de
santé des assurés et ne peuvent dépasser l'utile et le nécessaire
et doivent être faites dans la plus stricte économie compatible
avec l'efficacité du traitement et être conformes aux données
acquises par la science et à la déontologie médicale;
Attendu que l'article 23
alinéa 2 des statuts de l'Union des caisses de maladie prévoit que,
sauf les prestations urgentes devenues immédiatement nécessaires en
cas de maladie ou d'accident lors d'un séjour temporaire à
l'étranger, la prise en charge des prestations délivrées à
l'étranger doit être couverte par une autorisation donnée par le
contrôle médical suivant les modalités prévues;
Attendu que l'article 25,
alinéa 3 des statuts prévoit que le transfert en milieu
universitaire ou dans des institutions spécialisées à l'étranger,
demandé conformément à l'article 27 pour les traitements et
procédés de diagnostic complexes pour lesquels une qualité de
soins suffisante ne peut être assurée au Luxembourg, est soumis à
une autorisation préalable du contrôle médical;
Attendu qu'aux termes de
l'article 26, alinéa 2 des statuts de la Caisse nationale de santé:
« Les consultations et les traitements dûment autorisés par le
Contrôle médical au moyen d'un formulaire E112 ou analogue, sont
pris en charge intégralement aux taux des tarifs applicables aux
assurés sociaux de l'étranger. Pour les traitements en milieu
hospitalier stationnaire, cette prise en charge est également
étendue aux participations et franchises éventuelles pouvant être
mises en compte en vertu de la législation étrangère, déduction
faite du montant prévu à l'article 142, alinéa 2, ce dans la
mesure où la participation ou la franchise sont supérieures au
montant prévu ci-dessus. » ;
Attendu que les articles
49 et 50 du Traité CE frappent en principe d'interdiction toutes les
règles nationales qui entravent la libre circulation des services
entre les Etats et que l'interdiction y stipulée a une portée assez
large puisqu'elle touche non seulement les règles qui entravent
directement et effectivement la liberté de circulation, mais aussi
celles qui le font directement ou potentiellement;
Attendu que dans les
arrêts du 28 avril 1998, affaire C-158/96 Kohll et affaire C-120/95
Decker la Cour a expressément constaté que l'article 22 du
règlement n° 1408/71, interprété à la lumière de son objectif,
n'a pas pour objet de réglementer et, dès lors, n'empêche
nullement le remboursement par les Etats membres, aux tarifs en
vigueur dans l'Etat compétent, des frais engagés à l'occasion de
soins fournis dans un autre Etat membre, même en l'absence
d'autorisation préalable;
que la Cour a
expressément retenu encore que « des objectifs de nature purement
économique ne peuvent justifier une entrave au principe fondamental
de libre prestation de services. Toutefois, il ne saurait être exclu
qu'un risque d'atteinte grave à l'équilibre financier du système
de sécurité sociale puisse constituer une raison impérieuse
d'intérêt général susceptible de justifier pareille entrave. » ;
que conformément à la
jurisprudence de la CJCE, l'article 49 (ancien article 59) du traité
CE s'oppose à l'application de toute règlementation nationale ayant
pour effet de rendre la prestation de services entre Etats membres
plus difficile que la prestation de services purement interne à un
Etat membre (v. arrêt Kohll, précité) ;
Attendu que dans les
affaires Smits et Peerboms (arrêt du 12 juillet 2001, C-157/99) se
rapportant à des frais d'hospitalisation engagés dans un autre Etat
membre, la Cour de Justice des Communautés européennes a rappelé
que le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence
des Etats membres pour aménager leurs systèmes de sécurité
sociale de sorte qu'il appartient à chaque Etat membre de déterminer
dans le respect du droit communautaire, d'une part, les conditions du
droit ou de l'obligation de s'affilier à un régime de sécurité
sociale et, d'autre part, les conditions qui donnent droit à des
prestations;
Attendu que dans le même
arrêt la Cour a remémoré que les activités médicales relèvent
du champ d'application de l'article 50 du traité sans qu'il y ait
lieu à distinction selon que les soins sont dispensés dans un cadre
hospitalier ou ne dehors d'un tel cadre;
Attendu que la Cour a
retenu que dans la double perspective, d'un côté, de garantir une
accessibilité suffisante et permanente à une gamme équilibrée de
soins hospitaliers de qualité et, d'un autre côté, d'assurer une
maîtrise des coûts et d'éviter tout gaspillage des ressources
financières, techniques et humaines, l'exigence consistant à
soumettre à une autorisation préalable la prise en charge
financière par le système national de sécurité sociale de soins
hospitaliers dispensés dans un autre Etat membre est apparue aux
juges communautaires comme étant une mesure tout à la fois
nécessaire et raisonnable sous condition toutefois que les
conditions mises à l'octroi d'une telle autorisation soient
justifiées au regard des impératifs visés et qu'elles satisfassent
à l'exigence de proportionnalité;
Attendu que pour ce qui
est de la « condition nécessaire» du traitement envisagé,
sous-jacente à l'autorisation préalable, la Cour a décidé dans le
même arrêt que l'autorisation ne peut être refusée que lorsqu'un
traitement identique ou présentant le même degré d'efficacité
pour le patient peut être obtenu en temps opportun en ayant recours
à un établissement avec lequel la caisse de maladie de l'assuré a
conclu une convention;
que pour l'appréciation
de cette condition, les autorités nationales devront, selon la CJCE,
prendre en considération l'ensemble des circonstances caractérisant
chaque cas concret en tenant dûment compte non seulement de la
situation médicale du patient au moment où l'autorisation est
sollicitée, mais également de ses antécédents et que d'après la
CJCE l'exigence d'une telle condition est susceptible de permettre le
maintien sur le territoire national d'une offre suffisante équilibrée
et permanente de soins hospitaliers de qualité ainsi que de garantir
la stabilité financière du système de l'assurance maladie;
Attendu qu'il y a lieu de
déduire de la jurisprudence communautaire que si en principe les
règles d'autorisation préalable sont en contradiction avec les
principes généraux régissant la libre circulation des services,
les Etats membres peuvent, d'une part, sur le fondement de l'article
46 du traité restreindre la libre prestation des services médicaux
et hospitaliers, si cette restriction est nécessaire pour le
maintien d'une capacité de soins ou d'une compétence médicale sur
le territoire national et, d'autre part, se baser sur la raison de
l'intérêt général tirée de la sauvegarde nécessaire de
l'équilibre financier de leur système sanitaire, tout en précisant
que la limitation ne doit toutefois pas aller au-delà de ce qui est
nécessaire pour atteindre l'objectif (cf. : Conseil supérieur des
assurances sociales du 12 décembre 2001 CMEP c/K.; épouse T.) ;
Attendu que dans l'arrêt
du 19 avril 2007, affaire C-444/05 Stamatelaki la Cour a dit pour
droit que l'article 49 CE s'oppose à une législation d'un Etat
membre qui exclut tout remboursement par un organisme national de
sécurité sociale, des frais occasionnés par l'hospitalisation de
ses assurés dans les établissements de soins privés situés dans
un autre Etat membre;
Attendu que dans le même
arrêt la Cour a jugé que si la restriction à la libre prestation
des services médicaux et hospitaliers est susceptible d'être
justifiée par les raisons impérieuses d'intérêt général, encore
faut-il que cette restriction ne soit pas disproportionnée au regard
de l'objectif poursuivi ;
Attendu qu'il résulte de
la jurisprudence constante de la Cour de Justice des Communautés
européennes que le devoir des Etats membres, en vertu de l'article 5
(devenu 10) du traité, de prendre toutes mesures générales ou
particulières propres à assurer l'exécution des obligations
découlant du droit communautaire s'impose à toutes les autorités
des Etats membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences aux
autorités juridictionnelles;
Attendu qu'à cet égard,
il appartient à la juridiction nationale de donner à la loi interne
qu'elle doit appliquer, dans toute la mesure du possible, une
interprétation conforme aux exigences du droit communautaire (voir
arrêt Van Munster, du 5 octobre 1994 C-165/91);
Attendu que si une telle
application conforme n'est pas possible, la juridiction nationale a
l'obligation d'appliquer intégralement le droit communautaire et de
protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en
laissant au besoin inappliquée toute disposition dans la mesure où
son application, dans les circonstances de l'espèce, aboutirait à
un résultat contraire au droit communautaire (voir, dans un sens
analogue, arrêt du 21 mai 1987, Albako, 249/85, Rec. p. 2345 points
13 et suivants) ;
Attendu qu'en considérant
la sévérité de la pathologie douloureuse au niveau du genou droit
dont l'assuré est atteint, le Conseil arbitral arrive à la
conclusion que le traitement médico-chirurgical proposé à
l'hôpital A est nécessaire et efficace pour soigner une pathologie
grave pouvant porter préjudice de manière durable à la qualité de
vie de l'assuré et constituant une pathologie inhabituelle pour
laquelle un traitement adéquat et une qualité de soins suffisante
avec les mêmes chances de succès ne pouvaient être assurés dans
un délai acceptable au Luxembourg;
Attendu qu'en considérant
la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes
concernant l'interprétation par la Cour du droit communautaire et le
principe de l'exigence de la proportionnalité de la règle
européenne, tel que ce principe est retenu dans l'arrêt précité
de la Cour du 19 avril 2007, il y a lieu de retenir que le refus, en
application des dispositions du règlement communautaire et des
statuts cités dans la décision entreprise, de la demande
d'autorisation pour le traitement litigieux à Paris est de nature à
restreindre de manière injustifiée et disproportionnée la liberté
de prestation des services et le droit à la santé de l'assuré et
est de nature à rompre au détriment du requérant l'équilibre
entre la protection sociale de l'assuré et les exigences liées aux
raisons d'intérêt général prémentionnées ;
Par ces
motifs,
le Conseil arbitral,
statuant contradictoirement et en premier ressort, réformant, dit
que la Caisse nationale de santé doit accorder à l'assuré L,
l'autorisation de transfert en vue de la prise en charge du
traitement médico-chirurgical stationnaire à la clinique A à
Paris.
La lecture du présent
jugement a été faite à l'audience publique du 26 juillet 2012 en
la salle d'audience du Conseil arbitral de la sécurité sociale à
Luxembourg par Monsieur le président du siège.
Voies de
recours
Le Conseil arbitral
statuera en dernier ressort jusqu'à une valeur de 1.250 euros et à
charge d'appel lorsque la valeur du litige dépasse cette somme.
(Article 455, alinéa 3
du Code de la sécurité sociale - Loi du 13 mai 2008 portant
introduction d'un statut unique).
Les décisions rendues
en dernier ressort par le Conseil arbitral sont susceptibles d'un
recours en cassation.
Le pourvoi sera
introduit, instruit et jugé dans les formes prescrites pour la
procédure en cassation en matière civile et commerciale
conformément à l'article 455, alinéa 4 du Code de la sécurité
sociale (Loi du 13 mai 2008).
L'appel devra être
interjeté, sous peine de forclusion, dans les quarante jours
de la date de la notification de la décision du Conseil arbitral,
par simple requête sur papier libre à déposer au siège du Conseil
supérieur de la sécurité sociale à L-1610 Luxembourg, 14, avenue
de la Gare.
La requête sera
présentée en autant d'exemplaires qu'il y a de parties en cause.
Elle devra indiquer sommairement les moyens sur lesquels se fonde
l'appel.
Les décisions rendues
par défaut par le Conseil arbitral de la sécurité sociale,
soit en premier ressort, soit en dernier ressort. peuvent être
attaquées par voie de l'opposition.
Celle-ci doit être
formée, sous peine de forclusion, dans les 15 jours de la
notification de la décision attaquée, par simple requête sur
papier libre à déposer en autant d'exemplaires qu'il y a de parties
en cause au siège du Conseil arbitral de la sécurité sociale à
L-1528 Luxembourg. 16, Boulevard de la Foire (Article 9 du règlement
grand-ducal du 24 décembre 1993).
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